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Et, je revis Monsieur Quart sortant de sa maison, chaque jour, à midi, descendant, sur le trottoir de gauche, la rue de Paris, allant jusqu’au quarante-cinquième arbre, sur la route de Bernichette ; puis rentrant, chez lui, par le trottoir de droite, ayant fait le même nombre de pas que la veille, et n’ayant dépensé de mouvements musculaires et d’efforts cérébraux que ce que pouvait lui en permettre le petit compteur intérieur, réglé et remonté par l’État chaque matin, qui lui tenait lieu d’âme !

La foule s’écoula lentement, du cimetière, en proie à une tristesse visible. Je rejoignis le maire qui s’essuyait la bouche, encore enduite de la salive épaisse de ses paroles. Nous jetâmes une dernière pelletée de terre gelée dans la fosse où l’on avait descendu le cercueil de Monsieur Quart. Et nous revînmes ensemble vers la ville.

— Oui, mon cher monsieur, me dit le maire, notre Quart fut un héros, et l’on élève des statues à des gens qui ne le valent pas ; à des écrivains, par exemple, à des philosophes et des savants qui troublent la vie des hommes et la compliquent d’inutiles pensées, et de gestes plus inutiles encore… Il y aurait eu bien plus à dire, sur la tombe de cet admirable Monsieur Quart, que ce que j’ai dit… Mais que voulez-