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La nuit est venue, le Polonais rentre dans la maison. La huche est vide… Tous les deux, la grande femme maigre et le petit homme trapu, ils restent là, dans l’ombre, silencieux.

Soudain :

— Homme ! fait la femme.

— Eh bien ?

— Il n’y a pas de lune, cette nuit.

— Non !… La nuit sera noire.

— Sûr qu’il erre, cette nuit, dans la sente aux bouleaux.

— Oui…

— Eh bien ?

Et la femme, à tâtons, lève une pierre, sous la cheminée, une grande pierre sous laquelle un trou se creuse. Elle retire du trou un fusil, l’essuie, fait jouer les batteries et, d’une voix basse, rauque :

— Eh bien ?… Si t’as du cœur… t’iras aussi…

— Donne ! fait le Polonais… Crever pour crever.

Le Polonais sort de la maison. La nuit est toute noire, en effet. Il écoute. Personne sur la route… Aucune voiture, aucun bruit… Il écoute encore…

Très loin, un hibou chante, dans le silence, sa lugubre chanson de mort…