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L’Humanité

N’es-tu donc point lasse de toujours tuer, de toujours marcher dans la boue sanglante, à travers les plaintes et la fumée rouge des canons ? Ne peux-tu donc te reposer et sourire ? Ne peux-tu, un instant, rafraîchir, à l’air libre, tes poumons brûlés par la poudre, aux sources qui chantent sous les lianes, ta gorge altérée par les hurlements ? Vois les contrées que je garde, elles sont magnifiques. La vie bout dans leurs artères, la beauté resplendit à leurs visages d’amour ; et le bonheur s’échappe comme une céleste gerbe, des germes éclatés.

La Guerre

Ta rhétorique m’amuse, et tu n’es qu’une vieille sotte. Je n’ai que faire de tes lamentations. Garde ta houlette, ta peau de mouton et ta virgilienne flûte. Je connais les hommes, mieux que toi, et les hommes me connaissent. Ils aiment la mort, l’odeur des charognes et la griserie du sang. J’ai culbuté les trônes, renversé les autels, et de tous les souverains déchus, et de tous les dieux errants, moi seule suis restée debout. Je suis la nécessité nécessaire, implacable, éternelle. Je suis née avec la vie… Et la vie mourra avec moi.

L’Humanité

Tu mens !