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Il en a été toujours ainsi sous les républiques, qui permettent de tout dire, de tout montrer, de tout étaler, qui toujours protègent la littérature honteuse pour abrutir les peuples et les énerver. C’est ainsi qu’elles épuisent leur force, vident leur sang et détraquent leurs cervelles. Un peuple gavé d’ordure, saturé de vices, est un peuple impuissant, comme est stérile la femme qui se donne à tous les désirs qui s’offrent et surmène son corps dans tous les plaisirs.

Si jamais la monarchie, que nous attendons, vient, un jour, bousculer la République, si jamais elle domine l’avachissement des uns et le découragement des autres, c’est par la littérature qu’elle devra commencer son œuvre de régénération sociale. Il faudra qu’elle purge les librairies de ses livres, la presse de ses journaux, et qu’elle promène, partout où triomphe l’ordure, son coup de balai triomphal. Dans les siècles de tyrannie, l’art s’est développé, magnifique, et la littérature a brillé d’un éclat superbe ; dans les siècles de démocratie, l’art s’est abaissé et la littérature n’a servi que de véhicule à la corruption.

La liberté, historiquement, n’a jamais enfanté de prodiges, ni créé de vertus, ni produit de chefs-d’œuvre. Elle a fait tomber des têtes et elle a pourri des âmes. Elle a du sang et de l’ordure aux mains, voilà tout.

OCTAVE MIRBEAU