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l’ordure de Paris, devraient bien aussi emporter ces pourritures aux pourrissoirs.

Cela s’étale partout, et cela se vend. Cela arrête les passants à la devanture des libraires et, comme une fille sur les trottoirs, raccroche.

— Monsieur, monsieur, écoutez donc…

Je l’ai vu, dans un salon honnête, sur une table, qui se pavanait fièrement, à portée de jeune fille. Les pages n’avaient pas été coupées, il est vrai, et il s’était faufilé là, comme parfois se faufilent, jusque dans la paix des maisons respectables, ces vieilles matrones, courtières du vide.

Heureusement qu’il est bête, ce livre, autant qu’il est nauséabond, et, quand ce n’est pas le dégoût qui vous le fait jeter aux latrines, c’est l’ennui qui vous le fait jeter au feu.

Aujourd’hui la production littéraire est énorme. Tout le monde se mêle d’écrire. Où que vous alliez, vous ne rencontrez que des gens gros de romans, de nouvelles ou de pièces de théâtres. Les journaux sont encombrés par des personnages singuliers, de tout poil et de tout sexe, qui se croient une mission et qui vous arrivent, les bras chargés de papiers, la tête pleine de chef-d’œuvre. Les éditeurs sont affolés par la lecture des manuscrits qui, chaque jour,