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L’ORDURE


Je viens de lire un livre tout récemment paru. Ce livre est signé par une femme. On reconnaît l’homme à son style : la femme aussi. Telle femme, tel livre. Le livre est sale et bête, et il pue : la puanteur fade d’une maison où jamais ne pénétra le soleil, où l’air jamais ne vint chasser les odeurs des parfums qui se corrompent et des sueurs qui s’aigrissent.

En ouvrant ces pages, on a l’impression d’entrer en un mauvais lieu. Il semble qu’on voie à travers ces lignes, comme à travers les persiennes toujours closes, des paquets de chairs, vautrés çà et là sur des divans et des tapis, les allées et les venues le long des couloirs mal éclairés, les courses furtives et les dégringolades rapides le long des escaliers ; il semble qu’on entende aussi des rires rauques, des voix cassées par la noce, des refrains obscènes et le bruit agaçant du piano qui les accompagne.

Un tel livre devrait se cacher, comme se cachent les débauches honteuses, au fond des quartiers sombres, dans des maisons d’infamie, et les lourds tombereaux matinaux qui, dès l’aube, viennent ramasser