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reconnu un prêtre, elle se rassura. D’ailleurs, l’abbé doucement lui dit :

— N’ayez peur, petite… Je ne suis point le diable.

Et s’appuyant contre le tas d’herbe, il examina la paysanne.

C’était une belle fille jeune et saine, aux membres solides, aux vigoureuses hanches. L’indécise lumière qui l’enveloppait toute donnait du mystère à ses yeux voilés, à son visage bruni, au milieu duquel des dents très blanches éclataient. Un petit bonnet d’indienne bleue d’où s’échappaient des mèches de cheveux noirs collés sur son front, lui serrait la tête. Une partie de ses jambes et ses pieds sortaient nus d’un court jupon de bure, dont les plis lourds accentuaient la cambrure puissante des flancs. Sa poitrine n’était protégée que par une chemise de grossière toile, flottante, mal coulissée, qui laissait voir, par un large bâillement, la rose nudité d’un buste souple et fort et deux seins énormes, plus splendides que ceux des déesses de marbre. Et de cette fille une odeur montait, âcre et grisante, une odeur de fauve, une odeur de musc et d’étable, de fleur sauvage et de chair battue par le travail et par le soleil.

L’abbé en fut, en quelque sorte, étourdi.

À respirer ce brutal parfum, il sentit un désir lui mordre le cœur violemment. Du feu s’alluma dans ses veines. Il frissonna. Et, les narines écartées, comme font les étalons qui flairent, dans le vent, des odeurs de femelles, il poussa un soupir qui ressemblait à un