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inquiet avec cette sacrée femme-là… Elle a le bassin si étroit !

Sans savoir d’une façon précise quelle partie mystérieuse du corps désignait ce mot : bassin, j’avais fini, dès l’âge de neuf ans, par connaître exactement le jaugeage et les facultés puerpérales des bassins de toutes les femmes de Viantais. Ce qui n’empêchait nullement mon père, après ces constatations scientifiques, après des énumérations d’utérus, de placentas, de cordons ombilicaux, de m’assurer que les enfants naissaient sous des choux. Je n’ignorais rien non plus de ce qui constitue un cancer, une tumeur, un phlegmon ; mon esprit délaissé s’était peu à peu empli de l’horrible image des plaies qu’on cache comme un déshonneur ; une lamentation d’hôpital avait passé sur lui, glaçant le sourire confiant de la toute petite enfance. Et à voir mon père sortir, chaque soir, sa trousse de sa poche, étaler, sur la table, les menus et redoutables instruments d’acier brillant, souffler dans les sondes, essuyer les bistouris, faire miroiter, à la lampe, les minces lames des lancettes, mes si beaux rêves d’oiseaux bleus et de fées merveilleuses se transformaient en un cauchemar chirurgical, où le pus ruisselait, où s’entassaient les membres coupés, où se déroulaient les bandages et les charpies hideusement ensanglantés. Parfois aussi, il employait une soirée à nettoyer son forceps, qu’il oubliait, très souvent, dans la capote de son cabriolet. Il en astiquait les branches rouillées, avec de la poudre jaune, en fourbissait les