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la couche des vieilles femmes, pour leur voler leur fortune, l’amour sur la gorge ». Malgré la beauté de ces métaphores, la famille perdit son procès et par un jugement qui le vengeait des outrages, le légataire fut mis en possession de la fortune contestée.

De cette aventure, il lui était resté une sorte d’effarement que les années, les succès, son élévation rapide à l’épiscopat, aggravèrent encore. De la timidité, son caractère tomba dans la faiblesse la plus condamnable. Pour se faire pardonner des torts qu’il n’avait point, il crut devoir être bon jusqu’à la duperie, indulgent jusqu’à la complicité, modeste jusqu’à l’oubli total du moi. Il s’imaginait surprendre dans tous les regards un reproche, dans tous les gestes un mépris, dans toutes les paroles une allusion pénible à ses amertumes anciennes. Afin d’amadouer des accusateurs chimériques, il forçait sa vie à ne paraître plus qu’une longue humilité, une constante supplication. Plus il vieillissait, et plus il se repentait de n’avoir pas repoussé du pied, dédaigneusement, ce maudit argent dont il ne profitait pas d’ailleurs et qui ne lui servait qu’à des bonnes œuvres d’une utilité souvent contestable. Et des remords le hantaient, comme si, véritablement, il avait accompli quelque action déshonorante et basse. Aussi, quand il disait, en poussant un soupir de découragement : « Je ne suis rien… Je ne puis rien… je suis désarmé », répondait-il aux secrètes révoltes de sa conscience, plutôt qu’il ne se plaignait d’un manque d’autorité réelle. Cette étrange manie devint si forte