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avaient été conviés tous les prêtres et les personnages marquants du canton. Avant de passer dans la salle à manger, le bon curé Sortais, encore tout ému, s’approcha de l’abbé.

— Mon enfant, mon cher enfant ! s’exclama-t-il… que c’était beau !… quel grand, quel magnifique, quel sublime exemple vous avez donné !… Que c’était beau !… vous voyez, j’ai pleuré… je pleure encore, tenez !… Ah ! que c’était beau !

Il voulut lui prendre les mains, l’attirer sur son cœur.

— Je suis bien content, bien content, répéta-t-il.

Mais Jules se dégagea. Il avait retrouvé son air méchant, son air de dure ironie qui glaça soudain la chaleureuse effusion du vieillard.

— C’est bon, c’est bon ! fit-il… Il n’y a pas de quoi, allez, mon bonhomme !… Ha ! ha ! ha !… Hi ! hi ! hi !

Et il lui tourna le dos, en continuant de ricaner.

Ma grand-mère a, plus tard, raconté que, durant la cérémonie qui eût dû cependant la réjouir plus qu’une autre, il lui fut impossible de partager l’émotion générale. À mesure que Jules s’élevait plus haut dans l’éloquence et dans le repentir, par une de ces affinités mystérieuses que subissent les âmes sans les comprendre, elle sentait un froid descendre en elle, lui serrer le cœur douloureusement. Et si elle pleura, ce fut de peur et sous le coup d’une indéfinissable tristesse. Chose singulière, en dépit de ses efforts à chasser les harcelantes images d’autrefois, elle revoyait son