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souffrance est bonne à celui qui pécha. Quand j’aurai faim, sois-moi avare de ton pain et de tes fruits ; quand j’aurai soif, refuse à mes lèvres l’eau pure de tes sources ; quand j’aurai froid, éloigne, de mes membres glacés, ton soleil, tes abris et tes refuges. Fais que mes pieds se déchirent aux épines de tes routes, que mes genoux saignent au flanc de tes rocs. Ô Nature, sois l’implacable et maternelle tourmenteuse de ce corps chétif, impudique et révolté, et taille, dans le bois le plus dur et le plus lourd de tes forêts, la croix de rédemption, sous le fardeau de laquelle, ployé, je marcherai vers la clarté éternelle…

Une indicible émotion bridait les yeux des fidèles, contractait leurs visages, oppressait leurs poitrines. Pour ne point éclater, le curé faisait de violents efforts et d’affreuses grimaces. Les joues gonflées, la tonsure violette, il se tournait, se retournait dans sa stalle avec agitation. Au banc d’œuvre, les marguilliers, trop graves, se tenaient le menton, à pleines mains. Et des sanglots encore étouffés fusaient, de-ci, de-là, répercutés d’une nef à l’autre… L’abbé Jules termina ainsi, sur un ton d’ardente prière :

— Mes très chers frères, et vous aussi, mes sœurs bien-aimées, si vous avez pitié de celui qui s’accuse et qui se repent, quand l’angélus, tintant au clocher, vous prosterne, le soir, sur la terre bénie, ou au pied des crucifix familiers, oh ! je vous en prie, mêlez mon nom au nom des chers morts que vous pleurez, au nom des pauvres égarés que vous voulez ramenez à