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démoniaque esprit, rictus qu’il reverrait, hoquet qu’il entendrait, sans cesse, désormais. Et ce qui l’affligeait cruellement aussi, c’était cette outrageante indifférence de mon oncle envers une famille qui l’avait soigné, qui s’était dévouée, dans l’enfer de son agonie. Mon père s’attendrissait sur lui-même, sur moi ; il se répétait le cœur gros, les yeux humides :

— Pas un mot pour moi !… Pas un souvenir pour Albert !… Ma femme, je comprends encore… Mais moi !… mais le petit !…

Quand le notaire rentra, apportant la copie, mon père éprouva le besoin de s’épancher un peu, et, doucement, tristement :

— C’est dur, tout de même, une chose comme ça ! dit-il. Mon Dieu ! ce n’est pas tant sa fortune… Il était libre d’en disposer, quoique, en vérité, ce testament soit une infamie… Enfin… Mais c’est le procédé ! Pas un souvenir pour Albert, qui est son filleul, le pauvre enfant !… Tenez ! il ne lui aurait laissé que sa bibliothèque… Ça n’était pas grand-chose, n’est-ce pas ?… Eh bien ! il n’y aurait rien eu à dire !… Et cependant autrefois, à Randonnai, hier encore, aux Capucins, j’ai abandonné, pour lui, mes clients ! Ah ! les gens vont en faire des gorges chaudes !…

Le notaire approuvait, réglait ses expressions de physionomie et ses gestes sur ceux de mon père.

— Oui, oui ! disait-il… très contrariant !… très contrariant… Ce n’est pas un conseil que je vous donne, mais il me paraît attaquable, tout ce qu’il y a de plus