Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de liberté, son regard nostalgique qui, au travers des fenêtres closes, s’accrochait désespérément au vol des oiseaux, pour monter, porté sur leurs ailes, dans la lumière et dans l’infini… Mais Mme Robin mettait sans cesse entre nous son ombre jalouse, son ombre haute et rêche, comme un mur de pierre. Elle nous séparait, ne permettant pas qu’on pût nous voir l’un à côté de l’autre, car je faisais ressortir davantage la laideur de son fils. Frappée, à la fois, dans son orgueil de mère et dans son amour-propre de femme, elle en voulait à tout ce qui était jeune, beau et vivant ; elle m’en voulait surtout, à moi, de mes joues roses, de mes membres solides, du sang pur et chaud qui coulait sous ma peau. Il semblait que j’avais volé cela à son fils et c’était à moi qu’elle demandait compte de ses déceptions et de ses souffrances. Parfois, elle me marchait sur les pieds, si fort que la douleur m’arrachait des larmes et elle s’excusait, ensuite, de sa maladresse, avec mille tendresses hypocrites. Lorsqu’elle me trouvait seul, elle me souffletait, me bourrait de coups de pied et de coups de poing ; souvent, dans un coin, traîtreusement, elle me pinçait le bras jusqu’au sang, disant d’une voix mielleuse : « Oh ! le chéri ! Oh ! comme il est joli ! », tandis que sur ses lèvres, amincies et desséchées par la haine, un horrible sourire grimaçait. Un dimanche, à la promenade, comme nous longions un remblai très élevé, d’une poussée légère du coude, elle me fit rouler en bas du talus, et l’on me releva, le poignet foulé, la figure dé-