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mon lit en face de la fenêtre… J’aime mon jardin, j’aime mes arbres, j’aime ce ciel, ce grand ciel…

Mon père était ému… ma mère regardait le jardin, impassible et dure. Elle dit dans un sourire froid :

— En effet… c’est un si joli coup d’œil !

L’abbé réprima une grimace, éteignit une mauvaise lueur qui commençait de briller dans ses yeux, et il soupira :

— Oh ! j’aime cela pour des choses que vous ne voyez pas, que vous ne sentez pas, que vous ne comprenez pas, ma sœur.

Il retourna la tête contre la mur, le regard fixé sur les pâles fleurettes du papier et ne parla plus.

Je passai une grande partie de la journée dans le jardin, sans jouer, sans courir. Je n’avais plus l’entrain d’autrefois. Tout me semblait morne, attristé ; les verdures s’endeuillaient ; les oiseaux eux-mêmes étaient moroses, l’acacia-boule me faisait l’effet de ces sombres arbustes qu’on plante sur les tombes. Pourtant, je m’y arrêtai, à la place même où mon oncle aimait à s’asseoir, ses longues jambes dans l’herbe… J’évoquai sa houppelande verte, son étranges discours qui m’effrayaient, et qui maintenant m’effrayaient moins, car ils me donnaient, à cette minute, la sensation confuse d’une douleur morale, qu’une tendresse peut-être eût calmée… Et je l’aimais, oui, je l’aimais véritablement, je pensais que lui, si colère toujours, n’avait jamais