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Il s’agenouilla auprès du lit, et d’une voix émue qui chantait le triste épithalame de la mort :

— Pauvre enfant !… Tu es venue un jour, et le lendemain tu t’en vas… De la vie tu n’as connu que les premiers sourires, et tu t’endors à l’heure de l’inévitable souffrance… Va dans la clarté ! et dans le repos, petite âme, sœur de l’âme parfumée des fleurs, sœur de l’âme musicienne des oiseaux… Demain, dans mon jardin, je respirerai ton parfum au parfum de mes fleurs, et je t’écouterai chanter aux branches de mes arbres… Tu seras la gardienne de mon cœur et le charme invisible de mes pensées…

Il se releva, mit un baiser au front de la morte, et de nouveau, étendant la main sur l’assistance hébétée de cette oraison inaccoutumée :

Dominus vobiscum ! dit-il.

Mais le bedeau ne répondit pas. Ahuri, pétrifié, il ne comprenait rien à ce qui venait de se passer. Non seulement il ne comprenait pas, mais il ne savait plus s’il vivait, si cette maison, les femmes, le ciboire sur cette table, cette morte, si tout cela qui l’entourait n’était point un rêve. Dans son trouble, dans son bouleversement, il ne suivit pas l’abbé qui gagnait la porte, et il demeura, dans la chambre, au milieu des gens, les yeux fous, les bras ballants, la bouche grande ouverte.

Mon père nous attendait au dehors.

— Bonsoir, Jules, dit-il en s’avançant vers son frère, la main tendue.