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Sauveur dans le fossé… Le bon Dieu qui est peut-être perdu !

Un caillou blanc luisait dans l’ombre, sur la berge. Il crut que c’était l’hostie qui étincelait.

— Je la vois, balbutia-t-il… Elle brille !…

— Eh bien ! ramassez-la, Baptiste, ordonna mon oncle d’une voix étranglée.

Baptiste fut saisi d’épouvante.

— Moi ? monsieur l’abbé… moi ?… Toucher au bon Dieu, avec des mains impures, et quand mon âme est pleine de péchés ?… Non, non, jamais !… Je serais foudroyé !

— Imbécile ! jura l’abbé Jules… Aide-moi, petit.

Il parvint à se mettre debout. Et nous cherchâmes le ciboire. Le bedeau avait posé par terre sa boîte, sa tintenelle, et, tout pâle, les yeux dilatés, il promenait la lanterne inclinée au ras du sol, près du fossé. Bientôt, à la lueur rougissante qui courait sur l’herbe, nous aperçûmes le ciboire intact, encore recouvert de son pavillon. Je le ramassai, non sans un frissonnement. Le couvercle n’avait pas bougé. Mon oncle le souleva légèrement, et voyant l’hostie au fond du vase sacré :

— Allons ! fit-il… il n’y a pas de mal… En route…

On distinguait, en effet, à notre droite, le contour sombre de plusieurs maisons ; et quelques lumières piquaient l’obscurité. Mon oncle râlait moins fort, marchait d’un pas plus affermi. Toujours terrifié par la scène du ciboire qu’il se représentait comme une