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Cela fait un sifflement, que couvrirait le bruit d’un mince filet d’eau tombant sur des cailloux.

— Voilà !… C’est cela !…

Et lissant, de sa main étendue, la page où il s’est arrêté, il s’approche, dépose sur la table le livre grand ouvert, marque d’un trait d’ongle l’endroit qu’il faut lire.

— Lentement ! Tu liras lentement… Quand je te dirai, tu commenceras !…

Pendant qu’il s’assied dans son fauteuil, les jambes en avant, toutes droites et raides, je regarde le titre du volume, et je vois : Indiana, par George Sand… George Sand !… Alors je me souviens que mon père parle souvent de George Sand… Il l’a vue au théâtre. C’est une méchante femme qui s’habille toujours en homme, et qui fume la pipe… George Sand !… Je cherche à retrouver des particularités d’elle, dans les récits de mon père. Mais ma mère interrompt sans cesse l’anecdote qui commence. Ce nom seul la scandalise et scandalise aussi Mme Robin… Évidemment Indiana est ce que, dans ma famille, on appelle un roman, c’est-à-dire quelque chose de défendu, d’épouvantable, et je considère le volume, étalé devant moi, avec une curiosité mêlée de terreur…

— Va !… dit mon oncle… lentement, surtout…

Je jette un coup d’œil sur lui. Il a fermé les yeux… ses bras pendent hors des accoudoirs… sa poitrine s’affaisse et se gonfle comme un soufflet… Je commence :