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dissaient, sa conversation prenait un tour enjoué, un charme de galanterie spirituelle qui étonnait, chez un homme aussi extravagant et bourru, dont les actions et les paroles allaient, sans cesse, de l’excessif enthousiasme à l’excessive fureur. Mais ses yeux démentaient le calme apparent de ses manières, des yeux étrangement lubriques, lorsqu’ils se posaient sur la nuque de la jeune femme, sur son corsage aux courbes souples et vivantes, sur les plis de sa robe qu’ils semblaient soulever, fouiller, déchirer, avec la brutalité de mains violatrices. Et ses narines s’ouvraient, frémissantes, à la sensualité des odeurs qui s’évaporaient d’elle et montaient dans l’air chargées d’amour. Mme Servières s’en amusait, heureuse au fond, de cet hommage qui la déshabillait, qui la livrait à l’imagination obscène d’un faune en soutane noire.

Je revois dans ses détails les plus menus, les plus insignifiants, je revois la terrible scène qui suivit l’une de ces visites.

Mon oncle est assis sous l’acacia-boule, le dos appuyé contre le tronc, les jambes dans l’herbe. Il est surexcité, un peu haletant, très sombre, comme à l’approche d’une crise. Et cependant, sa tête pend et roule sur sa poitrine comme une boule trop pesante. La sueur dégoutte de son visage. Il arrache des brins de chiendent qu’il mâchonne et rejette ensuite. Moi, non loin de lui, je rue des pierres, essayant d’atteindre le mur qui sépare la prairie du jardin. Tout à l’heure, Mme Servières était là, toute blanche, dans la verdure :