Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lecture de l’Éthique. Ne comprenant rien à ce que je lisais, je bredouillais, commettais à chaque ligne des fautes grossières… Mon oncle ricana d’abord ; peu à peu, il s’impatienta :

— Fais donc attention, animal… Tu n’as donc jamais appris à lire… Reprends cette phrase…

Et le voilà qui se passionnait. Il m’interrompait, tout à coup, pour émettre une réflexion, jeter un cri de colère. Le corps en avant, les deux poings crispés sur les bras du fauteuil, les yeux brillants et farouches, tels que je les avais vus, à son arrivée à Coulanges, il semblait menacer le livre, la table, et moi-même. Et il se levait, tapant du pied, vociférant :

— Il trouve que nous n’avons pas assez d’un Dieu !… Il faut qu’il en fourre partout… T’z’imbéé… cile !

Lorsque le temps était mauvais au dehors, que le froid ou la pluie me condamnaient à chercher un abri à la cuisine, mon oncle m’appelait. Je m’asseyais devant la petite table, et je lisais à haute voix. Je lisais, depuis l’Ecclésiaste jusqu’à Stuart Mill, depuis saint Augustin jusqu’à Auguste Comte. Chaque fois, mon oncle s’emportait contre les opinions, comme jadis contre les hommes, avec les mêmes gestes, avec les mêmes mots. Il traitait les idées ainsi que des personnes vivantes, leur montrait le poing, et jetait à leur incorporelle image l’écume de sa fureur, dans cette insulte :

— T’z’imbéé… ciles !

Mes parents étaient consternés de la façon dont l’abbé Jules entendait l’instruction ; ils ne goûtaient