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— Allons, soit !… J’irai demain.

Le lendemain matin, mon père rôda dans la maison, l’air tout vague. Il cherchait des prétextes pour retarder son départ, s’ingéniait à se trouver tout d’un coup des occupations pressées, des courses urgentes, qui eussent éloigné de quelques heures la redoutable entrevue. Jamais il n’oserait proposer à son frère cette idée absurde… Alors que lui dirait-il ? Rien, évidemment.

— Si j’emmenais Albert ? se demandait-il.

Il sentait le besoin de n’être pas seul, pour affronter le terrible abbé. De m’avoir auprès de lui, il lui semblait que cela lui donnerait plus d’autorité, plus d’assurance. Il pensait aussi que, devant moi, Jules se contiendrait davantage… Et il allait ainsi de la cuisine à son cabinet, du cabinet dans le salon, remettant les chaises en place, tâtant ses poches afin de se rendre compte s’il n’avait rien oublié. Ma mère le poussait à la porte :

— Mais va donc !… Que cherches-tu ?… De quoi as-tu peur ?

— Si j’emmenais le petit ? Ce serait peut-être plus convenable.

— C’est de la folie !… Va donc !… Et tâche qu’il te reçoive dans la bibliothèque !

L’absence de mon père dura une heure à peine. Quand il revint, il était tout joyeux. Son pas sonnait sur la terre battue de la cour comme un pas de victoire.