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jour qu’ils s’étaient disputés tous les deux devant plusieurs personnes, le capitaine avait dit : « Crie, crie, ma poule… Tu sais bien que l’oreiller raccommode tout. » C’était clair. Aussi, dans la société bourgeoise on ne pouvait pas le recevoir, à cause de « la poule » ; mais on continuait de l’estimer à cause des putois dont il était si facilement prodigue.

Après l’incident de la place, ma mère jugea qu’il ne fallait point se faire un ennemi du cousin Debray. Il était préférable de l’amadouer, de l’inciter discrètement à des pensées, à des actions généreuses, de s’en servir comme d’un moyen inconscient de communication entre l’abbé et nous, et, plus tard, comme d’un instrument de réconciliation. On revit donc plus souvent le capitaine à la maison, on l’invita même à dîner. Sans trop s’étonner de ce revirement subit et n’ayant point coutume de chercher la raison des choses, il accepta. Alors, on le gava de bonne chère et du meilleur vin de la cave. Ce fut une amère déception. Le cousin buvait, mangeait et il disait : « Ah ! ce Jules, c’est un nom de Dieu de gaillard ! » Le vocabulaire de ses enthousiasmes, la curiosité de ses observations s’arrêtaient là. Ce « nom de Dieu de gaillard ! » en marquait la hauteur suprême. Il fut impossible d’en tirer autre chose. Non qu’il y mît de la malice, il était sincère comme une brute, le bon capitaine. Et il revenait à ce « nom de Dieu de gaillard ! » à propos de tout, modifiant le ton de cette exclamation suivant qu’il éprouvait plus ou moins d’enthousiasme, mais n’en chan-