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Une toux sèche l’arrêta. J’avais détourné mes yeux des siens, troublé par quelque chose que je ne comprenais pas, mais que je sentais effroyable et honteux… Le petit infirme poursuivit :

— Comment veux-tu que je les aime ?… Est-ce que cela est possible ?… Qu’ils me rouent de coups, qu’ils me jettent, jour et nuit, dans le trou au charbon… c’est bien, je les aimerai tout de même !… Mais ça !… Je n’ose plus les regarder en face… Rien que de sentir passer la robe de ma mère, près de moi, je rougis… Car je ne les vois plus tels qu’ils sont, lorsque je les vois… Je les vois toujours, comme la nuit… C’est pour cela que je veux aller loin… bien loin !… dans les pays où les enfants n’ont pas de parents… où il y a sur les arbres de beaux oiseaux qui chantent… comme en Amérique…

Un bruit de voix, immédiatement suivi d’un bruit de pas, se fit entendre derrière la porte. Georges reprit son ouvrage, se pencha pour dissimuler son trouble, et ma mère et Mme Robin entrèrent dans la chambre.

En nous voyant assis l’un près l’autre, et silencieux, elle dit, tandis que Mme Robin, par-dessus l’épaule de ma mère, me lançait un regard de haine :

— Allons ! je vois que vous avez été bien sages…

Elle s’approcha de Georges pour l’embrasser. Mais, soudain, très pâle, elle étendit le bras dans la direction de la fenêtre et poussa cette exclamation :

— Ah ! c’est trop fort !… c’est trop fort !… Voyez donc.