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ces images de mort, je pensais aux petits Servières, dont l’existence n’était faite que de spectacles consolants et joyeux, avec des parents dont la tendresse était comme une lumière, avec de belles choses, qui leur apprenaient le bonheur ; et je pensais aussi à mon oncle, qui m’avait dit d’un air triste et doux : « C’est dommage ! »

L’abbé se montrait moins que jamais, et se confinait davantage dans sa bibliothèque. Il paraît que sa santé était mauvaise, qu’il toussait beaucoup, qu’il éprouvait souvent des étourdissements. Il ne disait plus sa messe qu’un jour sur trois. Lors de la translation à Viantais des reliques de saint Remy, patron de la paroisse — une fête qui amena dans le pays trois évêques et plus de cent ecclésiastiques — mon oncle avait refusé de figurer au cortège, ce qui fut fâcheusement interprété contre lui, bien qu’il eût donné sa maladie pour excuse. Mais l’on sentait qu’il y avait d’autres raisons, et, parmi elles, une répugnance, à peine dissimulée, de tout ce qui était le devoir du culte religieux. On le rencontrait aussi plus rarement sur la route ; son jardin était devenu le lieu préféré de ses promenades ; par les beaux jours de soleil, il aimait à s’asseoir parmi l’herbe, sous un acacia-boule, et il restait là, à regarder passer le vol farceur des geais, à suivre, dans le ciel, l’ascension des grands éperviers. Était-ce le calme endormeur de la solitude, était-ce la souffrance, était-ce l’engourdissement de l’homme qui se sent à jamais vaincu ? Mais, au dire de Madeleine, le caractère de