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vu l’abbé dire le Benedicite, avant le repas, ni faire le signe de la croix, jamais.

L’histoire de la malle grandit, courut le pays de porte en porte, remuant violemment les cervelles. Les plus incrédules eux-mêmes, les esprits forts de cabaret qui répudiaient hautement le surnaturel dans les manifestations de la vie, en gardèrent une inquiétude. On ne longeait plus la route, devant l’étroite allée de lauriers qui conduisait aux Capucins, sans être obsédé de pensées pénibles, parfois d’effrayantes visions. Si, tout d’un coup, l’abbé lâchait sur la campagne la monstrueuse bête, cet inconnu horrifique qui grondait au fond de la malle !… Déjà, il semblait que les arbres d’alentour, revêtaient des formes insolites, que les champs se soulevaient en ondulations menaçantes, et que les oiseaux, sur les branches, envoyaient aux passants, avec des regards cyniques de bossus, d’étranges chansons infernales. La bibliothèque, aussi, prenait, dans l’imagination populaire, affolée par les racontars des deux bonnes, des proportions et un caractère démoniaques. On se représentait mon oncle, vêtu ainsi qu’un sorcier, évoquer des sortilèges, tandis que ses livres, s’animant d’une vie sabbatique, glissaient comme des rats, miaulaient comme des chouettes, sautaient comme des crapauds, autour de lui.

Chez nous, les choses n’apparaissaient pas avec cette poésie magique. Toutefois, la malle déroutait. Évidemment, il y avait là un mystère, puisque véri-