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qu’il avait franchi le seuil de notre maison — la maison de famille que ma grand-mère nous avait attribuée en ses partages, et que nous habitions depuis sa mort — un bouleversement s’opérait dans les manières de l’abbé. Chaque objet reconnu lui était une cause visible de chagrin et d’irritation. Regrettait-il qu’elle ne fût point à lui ?… Ou bien les souvenirs du passé qu’elle lui rappelait lui montraient-ils, plus durement, le vide irrémédiable de sa vie ?… Il furetait dans la chambre, impatient, remuant, au fond de son âme, de vieilles rancunes, et ne prêtait aucune attention aux recommandations de son frère qui disait :

— Nous t’avons mis là… parce que la chambre est au midi, et que tu as une très belle vue sur Saint-Jacques… Tiens… ici, tu as un placard… tu vois, là est le cabinet de toilette… J’ai fait remettre à neuf un peu toute la maison… Ah ! c’est bon de se revoir, hein ?… As-tu besoin d’eau chaude ?

— Non ! répondit l’abbé.

Un « non » qui claqua comme une gifle. Mon père continua cependant :

— La sonnette est là, dans l’alcôve… Tu…

Il fut vite interrompu :

— Laisse-moi tranquille… Tu m’agaces avec toutes tes explications… Et ta femme ?… Elle m’agace aussi, ta femme !… Suis-je ici pour subir des interrogatoires, être espionné ?… Mais soyez tranquilles, je ne vous ennuierai pas longtemps…