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au cachot noir, mais il fut impossible de lui arracher un mot de repentir. Au contraire, il ne cessait de répéter : « Elle a vomi, elle a vomi !… Ah ! que je m’amuse ! »

Et mon père, éclatant de rire, concluait :

— Sacré Jules, va !

Ces particularités, incessamment renouvelées, auraient dû graver, pour toujours, les traits d’un tel oncle dans mon esprit d’enfant craintif. Mais non !… Il ne me restait de lui qu’une vision confuse et changeante, à laquelle mon imagination, surexcitée par les récits de ma famille, prêtait mille formes différentes et pénibles. Mon oncle l’abbé ! En me répétant ces mots, tout bas, je voyais se dresser devant moi une figure de fantôme, hérissée, sabrée de grimaces, grotesque et terrible, tout ensemble, et je ne savais pas si je devais m’en effrayer, ou bien en rire. Mon oncle l’abbé ! Je m’efforçai d’évoquer sa véritable physionomie, j’appelai à mon aide toutes les circonstances graves de ma vie, desquelles elle pouvait surgir, éclatante et réelle. Ce fut en vain !… De toute la personne de mon oncle, vague ainsi qu’un vieux pastel effacé, je ne retrouvais qu’un long corps osseux, affaissé dans un fauteuil à oreillettes, avec des jambes croisées sous la soutane, des jambes maigres et sèches, aux chevilles pointues, qui se terminaient par des pieds énormes, carrés du bout, et chaussés de chaussons verts. Autour de lui, des livres ; sur un mur gris, dans une chambre claire, un tableau représentant des