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tourna, et parmi les angles, et parmi le noir, sous l’ombre d’un large chapeau, deux regards étranges, colères, deux regards entre lesquels pointait un nez vorace et quêteur comme celui d’un chien, deux regards insoutenables s’abattirent sur nous. C’était mon oncle.

— Bonjour !… Bonjour !… Bonjour !… grommela-t-il, en adressant à chacun de nous un petit salut, sec et dur, ainsi qu’une chiquenaude.

Mon père se précipita pour l’embrasser. Mais l’abbé, tendant son sac de nuit d’un geste impérieux, coupa court aux effusions.

— C’est bon !… Oui, plus tard !… As-tu une voiture ?… Eh bien ! allons… Qu’est-ce que tu attends ?

— Et vos bagages ? demanda ma mère.

— Ne vous occupez pas de mes bagages… allons.

Et bougonnant, il se dirigea vers la sortie. Comme il ne retrouvait point son billet, il eut une dispute avec l’employé.

— Tenez ! le voilà mon billet… Et tâchez d’être poli… t’z’imbécile !

Mon père était consterné, ma mère eut un haussement d’épaules qui signifiait : « Pardi !… n’avais-je pas raison ?… Il est pire que jamais !… » Quant à moi dans la déroute de cette arrivée, j’avais oublié mon petit compliment.

Nous remontâmes en voiture. Ma mère et mon oncle prirent place dans le fond ; mon père et moi nous nous assîmes sur la banquette de devant. Je