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— Dame !… la chambre bleue, à ce qu’il me semble !

Ma mère eut une moue de mécontentement :

— Voilà !… Pour lui, tout ce qu’il y a de meilleur !… Et quoi encore ?… Lui bassiner son lit ?

— Voyons, voyons, calma mon père… On ne peut pourtant pas le mettre dans le petit cabinet… Quand le diable y serait, c’est mon frère !…

— Ah ! oui, c’est ton frère !… Et il y paraît, que c’est ton frère !… Enfin tu y tiens, je n’ai rien à dire… Dieu veuille que tu n’aies pas à t’en repentir !

Ceci se passait huit jours après la soirée où les Robin et ma famille avaient tant causé de mon oncle Jules ; un mardi, je me rappelle. J’attendis le lendemain, dans une fièvre d’impatience, dans une anxiété de quelque chose d’énorme, d’anormal, qui allait rompre la monotonie de notre existence. Toute la journée, mon père fut surexcité, plus que de coutume, presque joyeux. Ma mère, très grave, songea. Au dîner, elle ne desserra les lèvres que pour demander, avec une pointe d’ironie dans la voix :

— Sais-tu ce qu’il prend, le matin, après sa messe, ton frère ?… Peut-être qu’il faudra préparer des choses à part, pour lui !

— Je voudrais bien voir ça ! répondit bravement mon père… Il fera comme nous, il mangera de la soupe…

Ma mère balança la tête, d’un air de doute.

— C’est qu’à Paris, il aura dû en prendre, des habitudes !… Enfin nous ne sommes pas millionnaires.