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pecte, par-dessus tous les autres… Est-ce donc la respecter, que de lui donner une honteuse litière, comme à vos bestiaux ? On me dit que c’est par égard pour les vivants et pour leur épargner le bruit que font les pelletées de terre, jetées sur les planches nues des cercueils !… Lâches cœurs qui ne savez pas même pleurer et qui repoussez la souffrance que Dieu vous donne… Eh bien ! moi, je veux qu’on ait de l’égard pour les morts. Je veux qu’un étranger qui assisterait, par hasard, à des obsèques, dans ma paroisse, ne puisse pas se dire, en voyant apporter de la paille, sur les fosses : « Quel est donc le cochon qu’on va griller là ? »

Puis, se signant d’un geste large et bredouillant : « Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il ! », il commença de réciter le prône et paraphrasa l’évangile du jour.

Longtemps dans le pays de Randonnai, on parla de ce début oratoire du nouveau curé, qui fit une profonde impression sur les âmes.

Le presbytère était situé à l’extrémité du bourg. Protégé contre l’espionnage des habitations voisines par une épaisse charmille, et quelques hauts sapins, il n’avait devant lui que l’espace libre des champs vallonnés. Il plut à Jules à cause de son isolement et de son silence. La maison était propre, gaie, nouvellement recrépie à blanc, avec des volets verts, et un petit perron à double escalier, que décorait la fantaisie luxuriante des glycines emmêlées. Le perron descendait au jardin très vaste, bien percé d’allées sablées