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— Viantais !… Viantais ?… pensait-il… J’y crèverai d’ennui !… c’est impossible !… Mais où ?…

Tandis qu’il remontait vers la ville, le jour décrut, la nuit tomba.

Évitant les rues trop larges, trop éclairées, il s’engagea par les venelles tortueuses d’un sale faubourg : des murs noirs, faisant coude brusquement, des chaussées étroites coupées dans leur longueur par un ruisseau charriant des ordures, où, de place en place, stagnait le reflet d’un réverbère. À mesure qu’il avançait, Jules était de plus en plus angoissé, incertain s’il devait poursuivre sa route, ou bien s’enfuir. Il songeait. « Revoir l’évêque ?… ça va être encore des embêtements ! » Des ouvriers rentraient avec des bruits lourds de sabots ; des femmes le frôlaient de leurs jupes ; peu à peu, les murs se trouaient de lumières. Et, tout à coup, à sa gauche, au-dessus d’une porte mi-ouverte, une lanterne, portant, sur ses verres dépolis, un énorme 8, s’alluma ; et dans l’ombre de la porte, il vit une femme, grosse, dépeignée, en camisole blanche. Il ralentit sa marche et se dit : « Si j’entrais ?… si je passais la nuit là ?… si, demain, en plein jour, devant tous, je ressortais de ce bouge ignoble ?… si je creusais, d’un coup, cet abîme entre ma vie d’hier et ma vie de demain ?… si… » Un « psst » parti de la porte lui cingla les reins comme d’un coup de fouet. Il tressaillit, et, courbant le dos, il passa.

— Monseigneur a fait demander monsieur l’abbé toute la journée, dit le portier, d’un air digne, lorsque