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faubourgs de la ville, il s’était montré brave et dévoué. Prodiguant son temps, les consolations de son ministère aux malades pauvres, ensevelissant les morts, il avait donné, à la population consternée et prise de panique, l’exemple d’un beau courage. Ses rapports avec l’évêque étaient aussi devenus excellents, bien que, çà et là, troublés de petits nuages, vite dissipés.

Depuis sa triste aventure, l’évêque avait beaucoup vieilli ; sa santé se faisait plus délicate, ses facultés baissaient. Quoiqu’il ne parlât jamais de cette affreuse histoire, on sentait qu’il en souffrait toujours, que la blessure en demeurait non guérie et saignante. Jules s’ingéniait à lui faire oublier ces mauvais souvenirs, en flattant les douces manies du vieillard. Il avait même étudié la culture des géraniums et des pélargoniums, afin d’en pouvoir causer avec lui. Tous les deux, ils disputaient sur les poètes latins. L’évêque soutenait Virgile ; Jules défendait Lucrèce.

— Mais c’est un athée, votre Lucrèce ! s’écriait l’évêque.

— Et votre Virgile qui croyait aux divinités carnavalesques de l’Olympe ?… À cet imbécile de Jupiter ? à Junon ?

— Enfin, il croyait à quelque chose !… Que voulez-vous ? de son temps, il n’y avait pas d’autres Dieux… Et puis il n’y croyait pas tant que ça !… Il avait deviné le christianisme…

— Mais Lucrèce a tout vu, tout senti, tout exprimé de ce qui est la nature, de ce qui est l’âme humaine.