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tions, toutes ses turpitudes, tous ses mensonges de plusieurs mois, il soupira :

— Deux louis !… Quelle pitié ! Ce n’est pas encore avec ça que je me paierai les Bollandistes ?

Le lendemain, au réveil, il eut une idée qui lui parut admirable. Il se leva, prit à peine le temps de s’habiller, descendit à la chapelle, dépêcha sa messe, en toute hâte, et sortit. L’air était froid, la pluie tombait fine et drue, un vent aigre chassait, dans le ciel, de gros nuages sales et comme lavés d’encre. Mais il ne sentait ni le froid, ni la pluie, ni le vent. « Cette fois-ci, se disait-il tout en marchant d’un pas allongé, rapide ; cette fois-ci, je tiens ma bibliothèque. Je la tiens, ou le diable m’emporte !… Comment se fait-il que je n’aie pas songé à cela plus tôt ? » Une heure après, soufflant, trempé de sueur et de pluie, il arrivait devant l’entrée de l’abbaye du Réno.

Deux énormes piliers, découronnés, sans grille ni porte, s’ouvraient à vide, sur une ancienne avenue défoncée, embroussaillée, veuve de ses arbres depuis longtemps abattus. À l’extrémité de l’avenue, dont on ne retrouvait le tracé, au milieu des terrains incultes, qui la bordaient, que par la double rangée parallèle des troncs coupés, presque au ras du sol, s’apercevaient d’étranges bâtiments sombres, des profils de murs croulants, des toitures effondrées, raidissant sur le ciel morose la carcasse noire des charpentes. Et, tout autour de ces ruines, un espace nu, désolé, s’étendait sans un arbre, sans une plante, sans