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gard que les portes étaient bien closes, qu’il était bien seul, que personne ne pouvait le voir. Puis, marchant sur la pointe du pied, il s’approcha de la cheminée. Jaunes et blanches, elles luisaient là, tout près, à portée de sa main, étalées pêle-mêle, en pièces qui viennent d’être retirées d’une poche, négligemment. Les narines dilatées, les yeux brillant de convoitise, plusieurs fois il les compta : onze louis d’or. Avec délicatesse, évitant de déranger les autres, il prit un louis, et, tandis qu’il l’enfouissait dans la poche de sa soutane, sous son mouchoir, il se sentit au bout des doigts un petit frisson et comme un léger chatouillement à la racine des cheveux. En même temps, son cœur battit plus vite, mais d’un mouvement régulier, agréable, qui lui donna l’impression d’une jouissance physique, très douce. Il ne se demanda pas s’il commettait une bassesse, un acte honteux, il ne se demanda rien. « Ça lui fera un compte rond », se dit-il, simplement, en songeant à l’évêque. Et considérant, de nouveau, le tas d’or qui ne paraissait pas diminué par ce larcin, il ajouta jovialement : « Trop rond même ! » Il en prit un second. Un troisième avait glissé, rendant, sur le marbre, un son clair de métal. L’abbé hésita, perplexe ; ne devait-il point se l’approprier aussi, celui-là ?… Il réfléchit que cela se verrait peut-être, et il le remit en place, d’un air de regret. D’ailleurs, il se promit de revenir plus souvent, dans ce cabinet, aux heures où il avait chance de n’y point rencontrer Monseigneur, et d’inspecter les meubles,