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Le maire (tremblant)

Messieurs, une affreuse nouvelle… Une nouvelle incroyable !… Jamais, je ne pourrai…

Tous

Parlez !… Parlez !…

Le maire (montrant la lettre ouverte)

Messieurs… Un bourgeois est mort !… Un bourgeois est mort, emporté par l’épidémie ! (Et, tandis qu’une épouvante plane au-dessus des conseillers, subitement immobiles et convulsés, le maire, d’une voix qui tremble et qui pleure, poursuit, dans le silence mortuaire de la salle)… C’était un vénérable bourgeois, un bourgeois gras, rose, riche, heureux. Son ventre faisait envie aux pauvres. Chaque jour, il se promenait souriant, sur le cours, et sa face réjouie, son triple menton, ses mains potelées qui serraient sa canne de jonc à pomme d’or, étaient, pour chacun, un vivant enseignement social. Il semblait qu’il ne dût jamais mourir… Et pourtant, il est mort !… Un bourgeois est mort !

Le membre de la majorité (comme s’il psalmodiait le Miserere)

Un bourgeois est mort !

Le membre de l’opposition (même jeu)

Un bourgeois est mort !

Tous

Un bourgeois est mort ! (Silence. Les