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Le membre de la majorité

Je m’associe aux idées si spirituellement exprimées par mon honorable collègue. Je dirai même plus. Aujourd’hui la science est aux microbes, à l’eau de source, aux logements salubres. C’est là une simple hypothèse, et, permettez-moi cette expression, de simples billevesées… Demain d’autres théories, inverses à celle-là, viendront, aussi peu probantes, aussi peu démontrées par les faits. Les communes doivent-elles subordonner leur activité aux fantaisies ruineuses des savants ? Je ne le pense pas. Nos pères, Messieurs, ignoraient ces choses. Ils se sont contentés de l’eau qu’ils avaient, et l’histoire ne dit pas qu’ils s’en soient plus mal portés pour cela… On m’objectera peut-être : « Et l’Angleterre ? » Messieurs, nous ne sommes pas en Angleterre. L’Angleterre est l’Angleterre, et la France est la France… Messieurs, vive la France ! (Enthousiasme général, les conseillers battent des mains et répètent : Vive la France !)

Le maire

Permettez-moi une observation… Je crois que le préfet maritime se moque de l’épidémie… Mais il redoute l’opinion, il craint la presse, il a peur d’une interpellation à la Chambre… Il m’a fait comprendre que si le Conseil municipal votait les dépenses nécessaires aux travaux susmentionnés, il se tiendrait pour satisfait… Ce qu’il demande, c’est une formalité !… Sa prétention ne va pas jusqu’à exiger l’exécution de ce vote… C’est uniquement pour se mettre en règle vis-à-vis de l’opinion, de la presse et de la Chambre !… Une fois l’épidémie passée, il ne sera plus question de rien… Et nous en serons pour un an de tranquillité !… Dans ces conditions, Messieurs, je crois que nous pouvons voter des crédits, que nous pouvons même nous montrer généreux… puisqu’il ne nous en coûte rien…