Page:Mirbeau - Esthétique théâtrale, paru dans l’Écho de Paris, 16 juin 1891.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le directeur

Moi pas… Mais j’ai lu le feuilleton de Sarcey… ça vaut mieux que d’avoir vu la pièce… Eh bien, franchement, est-ce une pièce ?… Voyez-vous un sujet de pièce là-dedans… où est la pièce ?… Sarcey en fait une critique très juste. Il nous dit : « L’intruse, c’est la mort, et la mort joue le principal personnage dans ce petit acte… Eh bien, on ne la voit pas. Comment voulez-vous que je m’intéresse à une pièce dont on ne voit pas le principal personnage ? Ça n’est plus une pièce. On ne sait plus ce que c’est… Si l’auteur avait eu le moindre sens du théâtre, il aurait dû me montrer la mort. Par deux fois on croit qu’elle va venir, pas du tout. Une fois, c’est une bonne, qu’on ne voit pas d’ailleurs. Ensuite c’est une religieuse qui apparaît et ne souffle mot, tandis que je m’attendais à voir entrer un squelette drapé d’un suaire, et portant une faux. La pièce était là ! Ces jeunes gens n’entendent rien aux choses du théâtre ; ce sont de simples fumistes. »… C’est parfaitement jugé… Certes, je m’intéresse aux jeunes, aux chercheurs, aux audacieux… Encore faut-il qu’ils me donnent une pièce… J’aime le nouveau, oui ! Qu’on me foute du nouveau, qu’on m’en foute tant qu’on voudra… parfait ! Mais, sapristi, qu’il y ait une pièce dans ce nouveau… Je me résume… Comme homme, comme artiste, si j’ose dire, je suis avec vous, car j’ai horreur des routines, des conventions… mais, comme directeur… bonsoir !…