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cher toutes ces idées… Tes bonnes, maintenant !

La grosse dame

Je sais ce que je sais… je vois ce que je vois… Je ne t’en veux pas… je comprends… Ça n’est pas de ta faute… Tu as une nature comme ça !… Il y aurait un moyen de tout arranger… Qu’est-ce que ça te ferait de ne pas t’exposer avec des petites filles de treize ans, et de me laisser mes bonnes ?… Cette jeune femme du chemin de fer, elle est très jolie… Enfin, voyons, elle vaut mieux, elle est plus flatteuse, pour un homme, qu’une femme de chambre ?… J’ai pensé que nous pourrions nous lier avec elle… Elle est coquette, et pas riche… Je crois qu’elle accepterait… Tu lui ferais, de temps à autre, un joli cadeau ; tu l’aiderais à vivre… Nous pouvons bien supporter cette dépense, va !… Je ne te coûte pas cher, moi ; je ne te coûte que des drogues !…

Le mari

Assez, n’est-ce pas ?… Je ne sais pas pourquoi j’écoute tes divagations…

La grosse dame

Allons, allons, Émile… Sois donc sincère, une bonne fois… et accorde-moi ce que je te demande… Je trouve que ça serait convenable ainsi… Toi, tu n’aurais pas de responsabilité ; moi, je serais tranquille… Et puis, elle me ferait société, quelquefois… (Le mari affecte de ne plus écouter)… Pourquoi ne dis-tu rien ?… Voyons, dis-moi quelque chose ! (Silence}… Émile ! (Silence). Ça serait si gentil ! (Silence). Et puis, elle a peut-être une jolie femme de chambre ! (Silence.) Émile !… (D’une voix profonde, douloureuse)… Tu as beau être de la Société de Saint-Vincent de Paul, eh bien, vois-tu, tu n’as jamais eu de religion !…

(La voiture s’arrête devant une grille…)


OCTAVE MIRBEAU.