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La grosse dame (tapant et tâtant sa robe)

Ah ! mon Dieu ! Et les pilules ?… Qu’est-ce que j’ai fait de mes pilules ?… (À son mari). Émile, est-ce que je ne te les ai pas données, mes pilules ?…

Le mari (qui examinait la jeune femme, se retourne et sèchement) :

Non… Et pourquoi me les aurais-tu données ?.. (Il reprend son examen.)

La grosse dame (cherchant toujours)

Il ne manque plus que cela !… Ah ! les voilà, je les tiens !… (Elle pousse un soupir)… Ça m’a donné chaud !… C’est vrai !… Tant de commissions !… On est bousculée… On perd la tête… Mon Dieu ! Que C’est triste d’être comme ça !… (Silence).

(Le train file. Les liseurs de journaux se sont endormis, l’un sur le Temps, l’autre sur les Débats ! … Le monsieur à favoris blancs continue de regarder avidement la jolie femme qui, elle, ne regarde rien de visible, les yeux perdus dans un vague charmant, étudié. De temps, en temps, la grosse dame promène de furtifs regards de la jeune voyageuse à son mari ; d’étranges et furtifs regards, dont on ne sait pas ce qu’ils expriment, si c’est de la jalousie, de la complicité, de la tendresse louche, de l’imploration ; d’étranges, furtifs et