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Les écrivains qui puisent dans le passé la plus ferme tradition classique et les écrivains qui y cherchent la plus élégante pourriture et la plus noble lassitude se sont, coude à coude, penchés sur la lagune. Les dramaturges aussi. Un dernier acte s’il est véritablement d’amour et de douleur, n’a pas d’autre décor que Venise. Et seul, le chant d’un gondolier en coulisse est digne d’accompagner la plainte des amants qui se séparent. Le théâtre est l’image de la vie. Et quel homme quitte sa maîtresse et quelle femme quitte son amant, sans prendre auparavant un billet pour Venise ? Seuls les chiffonniers peuvent s’aimer sans penser à Venise. L’Europe entière s’est unie contre Venise, toute l’Europe avec ses poètes, ses photographes, ses psychologues, ses mariés, ses dramaturges et ses peintres.

On comprend que Claude Monet n’ait pas voulu aller à Venise, cette ville qui n’était plus une ville, mais un décor ou un motif. Claude Monet n’osait pas. Il se sentait assez fort pour peindre les campagnes et les villes. Mais peindre Venise, c’était se mesurer à toute la bêtise humaine, qui collabora à l’image que nous avons de Venise. Il attendit l’heure où la certitude et la maîtrise aboutissent à de nouveaux pressentiments.

Cela est singulièrement émouvant que Claude Monet qui renouvela la peinture au XIXe ait pu se renouveler lui-même. De plus larges ondes se répandent. Une attaque multiple ne crible plus la