Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui, au fond de lui, de m’expliquer ses bizarres allures. Il me fit presque pitié. Il était, sous le regard du ciel, tremblant comme un lièvre sous le souffle du chien qui l’arrête.

– Partons ? fis-je d’une voix légèrement irritée…

Nous redescendîmes la côte.

Les pentes en étaient rases, glissantes, et les cailloux roulaient sous nos pieds. Un étroit sentier de chèvres contournait le pic, décrivait ses minces lacets dans la verdure courte et toute grise. Quelques orchis chétifs, des pavots menus et dentelés, de maigres échinops, toute une flore naine et malade poussait çà et là, au-dessus des herbes abrouties, et des ronces traînaient sur le sol leurs tiges rampantes et desséchées, comme des orvets morts. À mesure que nous nous rapprochions de la plaine, que la terre semblait monter dans le ciel et l’envahir, que le ciel, au-dessus de nos têtes, reculait sa voûte diminuée, X… se calmait, se détendait, sa physionomie redevenait en quelque sorte, plus humaine. Même un sourire égaya le désordre farouche de sa barbe. Il me dit d’une voix douce.

– Oh ! que tu es gentil d’être venu… Il y a si longtemps, pense donc, que je n’ai vu personne… et il me semble que j’ai tant de choses à te dire… des choses accumulées depuis quinze ans… J’en suis malade… j’en serais mort.

– Ne pouvais-tu me les dire, là-haut ?… reprochai-je…

– Là-haut !… Non !… non !… Je ne peux pas… Là-haut j’étouffe, mes membres se rompent, j’ai, sur le crâne, comme le poids d’une montagne… C’est le ciel, si lourd, si lourd !… Et puis ces nuages… Tu ne les as donc pas vus, ces nuages ?… C’est livide et grimaçant comme la fièvre… comme la mort !…

– Tu es malade, dis-je…