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chaudes de soleil, se voile dans l’effacement mystérieux des brumes, s’attriste sur la nudité sauvage des rochers, modelée ainsi que des visages de vieillards. Les grands drames de la nature, il les saisit, les rend, en leur expression la plus suggestive.

Aussi, nous respirons vraiment dans sa toile les senteurs de la terre ; des souffles de brises marines nous apportent aux oreilles ces orchestres hurlants du large ou la chanson apaisée des criques ; nous voyons les terres se soulever sous l’amoureux travail des sèves bouillonnantes, le soleil décroître ou monter le long des troncs d’arbres, l’ombre envahir progressivement les verdures ou les nappes d’eau qui s’endorment dans la gloire pourprée des soirs, ou se réveillent dans la fraîche virginité des matins. Tout s’anime, bruit, se colore ou se décolore, suivant l’heure qu’il nous représente et suivant la lente ascension et le lent décours des astres, distributeurs de clartés. Et il nous arrive cette impression que bien des fois j’ai ressentie en regardant les tableaux de M. Claude Monet : c’est que l’art disparaît, s’efface, et que nous ne nous trouvons plus qu’en présence de la nature vivante complètement conquise et domptée par ce miraculeux peintre. Devant ses mers farouches de Belle-Isle ou ses mers souriantes d’Antibes et de Bordighera, souvent j’ai oublié qu’elles étaient faites sur un morceau de toile avec de