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et il y marchait, droit devant lui, à peine arrêté de temps à autre par les misères d’une existence où il sentait à chaque pas l’hostilité embusquée. Aujourd’hui M. Claude Monet a vaincu la haine, il a forcé l’outrage à se taire. Il est ce qu’on appelle arrivé. Si quelques obstinés pour qui l’art n’est que la résurrection des formes glacées et des formules mortes discutent encore les tendances de son talent, ils ne discutent plus ce talent qui s’est imposé de lui-même par sa propre force et son charme si intense, qui pénètre au plus profond des sensations de l’homme. Des amateurs qui riaient autrefois s’honorent de posséder des tableaux de lui ; des peintres, les plus acharnés à se moquer jadis, s’acharnent à l’imiter. Et lui-même vit dans la plus belle, dans la plus inaltérable sérénité d’art où un artiste puisse se réfugier.

Ce qui distingue ce talent de M. Claude Monet, c’est sa grandiose et savante simplicité ; c’est son implacable harmonie. Il a tout exprimé, même les plus fugitifs effets de lumière ; même l’insaisissable, même l’inexprimable, c’est-à-dire le mouvement des choses inertes ou invisibles, comme la vie des météores ; et rien n’est livré au hasard de l’inspiration, même heureuse, à la fantaisie du coup de pinceau, même génial. Tout est combiné, tout s’accorde avec les lois atmosphériques, avec la marche régulière et précise des phénomènes terrestres ou célestes. C’est pourquoi il nous donne l’illusion complète de la vie. La vie chante dans la sonorité de ses lointains, elle fleurit, parfumée, avec ses gerbes de fleurs, elle éclate en nappes