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quelques souvenirs extérieurs qui nuisaient au développement complet de sa personnalité.

Bientôt, à force d’isolement, de concentration en soi, à force d’oubli esthétique de tout ce qui n’était pas le motif de l’heure présente, son œil se forma au jeu capricieux, au frisson des plus subtiles lumières, sa main s’affermit et s’assouplit en même temps à l’imprévu, parfois déroutant, de la ligne aérienne ; sa palette s’éclaircit. Il divisa son travail, sur un plan méthodique, rationnel, d’une inflexible rigueur, en quelque sorte mathématique. En quelques années, il arriva à se débarrasser des conventions, des réminiscences, à n’avoir plus qu’un parti pris, celui de la sincérité, qu’une passion, celle de la vie. Et c’est la vie, en effet, qui emplit ces toiles d’un art tout nouveau et qui étonne, la vie de l’air, la vie de l’eau, la vie si compliquée des lumières, synthétisée en d’admirables hardiesses. La clameur est grande ; l’insulte est prête à saluer ce grand effort, le rire montre les dents et lance sa bave. Qu’importe ? Un peintre est né, qui nous apporte enfin des harmonies neuves. Et son œuvre déjà est immense.

Je ne puis malheureusement, en ce court article, suivre M. Claude Monet dans sa vie artiste et dans son œuvre. À l’étude d’un pareil homme et d’une pareille œuvre, il faudrait l’espace d’un volume. Je ne puis non plus raconter ses luttes, les scandaleux refus au Salon de ses toiles superbes, ses expositions avec les impressionnistes, ses découragements vite surmontés et aussitôt suivis de travaux acharnés, car il avait un but