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Dans les livrets d’exposition et les catalogues de vente, il figure avec son nom seul, sans accolade d’aucun maître. Très jeune, il est vrai, il entra à l’atelier du père Gleyre, mais quand il eut compris et vérifié l’étrange cuisine qu’on faisait là, il s’empressa de fuir, sans avoir déplié son carton ni ouvert sa boîte de couleurs. Il eut alors une idée de génie, mais fort irrévérencieuse, et par quoi, certainement, il vaut d’être devenu l’admirable peintre qu’il est : il ne copia aucun tableau du Louvre. Même il découvrit qu’il y avait dans la nature des personnages, des arbres, des fleurs, de l’eau, de la lumière, et que cela vivait, et que cela était beau, d’une beauté souveraine, sans cesse renouvelée, d’une toujours claire, fraîche et saine jeunesse, et que cela valait tous les maîtres s’écaillant tristement, en leurs cadres dédorés, sous les successives couches de vernis et de poussière dont ils sont affligés. Non point qu’il fût réfractaire aux mérites d’un Giotto, d’un Holbein, d’un Velasquez, d’un Delacroix, d’un Daumier et d’un Ho-Kusaï. Nul plus que lui n’avait l’âme pour les sentir et pour les aimer ; mais il se dit, avec raison, que chacun doit faire son œuvre, c’est-à-dire exprimer sa propre émotion, et non point recommencer celle des autres. Il partait de ce principe que la loi du monde est le mouvement, que l’art, comme la littérature, comme la musique, la science et la philosophie, est continuellement en marche vers des recherches nouvelles et de nouvelles conquêtes ; que les découvertes de demain succèdent aux découvertes d’hier, et qu’il n’y a point d’époques définitives comme le croit M. Renan, ni d’hommes