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comme on apprend à métrer des pièces de soie ou à confectionner des bottes, cela semble, au premier abord, un extravagant métier. Cependant, il n’en est pas de plus honoré et qui rapporte davantage. Le maître met son amour-propre à posséder le plus d’élèves possible, l’élève à copier le plus fidèlement qu’il peut la manière du maître, lequel copia son maître qui, lui-même, copia le sien. Et cela remonte, de la sorte, d’élèves en maîtres, jusqu’aux siècles les plus lointains de nous. Cette suite ininterrompue de gens se copiant les uns les autres, à travers les âges, nous l’appelons la tradition. Elle est infiniment respectée. Les gouvernements, aidés des critiques d’art et des amateurs, veillent à ce qu’elle soit officiellement continuée et qu’aucun accident fâcheux n’en vienne briser la chaîne ; ils lui donnent des ministères, des écoles, des instituts, et ils la protègent contre les personnalités géniales qui, de temps à autre, tentent de la rompre.

Avec M. Claude Monet, nous sommes loin de la tradition. Une de ses grandes originalités, ce qu’on ne peut vraiment lui pardonner, c’est qu’il n’a été l’élève de personne. Il se trouve dans cette situation rare et bienheureuse de n’avoir pas d’état civil artistique. Aucun Cabanel ne le baptisa, aucun Bouguereau.