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Germaine. — Il y a des pauvres !

Mme Naturel. — Des pauvres !… Ah bien sûr !… Les pauvres, ce n’est pas ce qui manque ici… Jamais je n’ai vu un pays pour avoir tant de pauvres !… C’est scandaleux !… C’est à ne pas croire !…

Germaine. — C’est naturel, pourtant !

Mme Naturel. — Naturel ! Tu trouves ça naturel, toi !… Dis que c’est honteux !…

Germaine, elle se lève, marche dans la vaste pièce, s’arrête devant un vase de fleurs qu’elle arrange machinalement. — Quand il y a quelque part un homme trop riche, il y a par cela même, autour de lui, des gens trop pauvres… Tu as raison, c’est honteux !…

Mme Naturel. — Nous n’y pouvons rien… Ce n’est pas une raison pour les nourrir avec du poulet !… D’abord, s’ils travaillaient, ils seraient moins pauvres !

Germaine. — S’ils travaillaient ?…

Mme Naturel. — Certainement !…

Germaine. — À quoi ?…

Mme Naturel. — Comment, à quoi ?…

Germaine. — Nous leur avons tout pris… leurs petits champs… leurs petites maisons… leurs petits jardins… pour arrondir ce que mon père appelle son domaine…

Mme Naturel, ironique. — Voyez-vous ça !…

Germaine. — Ceux qui ont pu partir d’ici sont partis… Ceux qui restent…