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c’était vous-même… car il me semble qu’en elle habitent toujours la chaleur fulgurante de votre génie et l’inoubliable beauté de votre âme… Ah ! tellement inoubliable !… Tenez, cette nuit, toute cette nuit, je l’ai passée à lire Inassouvie !… Que c’est beau ! que c’est pervertissant ! Ah ! cher, où donc trouvez-vous le secret unique de ces phrases qui me sont comme des fièvres et comme des poisons ?… Chaque page de vous, c’est un gouffre de douleur et de volupté, un gouffre immense et sans fond où je voudrais me perdre, disparaître, dans le vertige de vous admirer… Vous êtes la tentation merveilleuse… la joie sublime du péché… délices et tortures !… Êtes-vous Satan ? Êtes-vous Dieu ?… Oh ! qui êtes-vous donc ?… Oh ! cette Maud ! — pourquoi ne m’appelai-je pas Maud aussi ? — Oh ! cette Maud en laquelle je me sens revivre toute, ses désirs furieux sont miens, comme miennes sont ses extases !… Et pourtant je n’étais qu’une jeune fille, je ne connaissais rien de la vie. Et comme Maud, votre Maud, je suis l’inassouvie !… tellement l’inassouvie !…

Elle se tut un instant, et joignant ses mains, elle regarda l’illustre Anselme d’un regard somnambulique où s’accumulaient tous les genres d’ivresses décrits par les psychologues.

— Ah ! qu’il me tarde d’être aussi adultère, la divine adultère de vos chers livres ! soupira-t-elle.