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gants de peau blanche, brodés de noir, et se dressant brusquement, il marcha, dans la pièce, autour de mon bureau, l’air méditatif et recueilli. Au bout de quelques minutes de cet exercice :

— Écoutez-moi bien, fit-il… et suivez d’un esprit attentif mon raisonnement… Chacun de mes ouvrages, Monsieur, tire à deux cents éditions.

— Deux cents éditions ! m’extasiai-je…

— Oui, deux cents, pas plus… c’est-à-dire cent et quelques mille exemplaires… Certes, si je compare ce chiffre au chiffre des autres tirages, c’est un résultat unique, merveilleux, prodigieux, colossal !… Tout ce que vous voudrez !… soit !… Mais si je compare ce chiffre au chiffre total de la population du globe… avouez que c’est maigre… et qu’il y a beaucoup à faire, qu’il y a tout à faire, pour équilibrer ces deux chiffres… pour rapprocher ces deux chiffres si distants l’un de l’autre…

— Et vous le ferez !… proférai-je avec un accent enflammé de prophète…

— Soit !… Écoutez-moi donc !… Nous autres penseurs, nous autres véritables artistes, nous manquons de puissants moyens de publicité… Nous n’avons pas la force d’expansion nécessaire aux conquêtes totalisatrices… Nous tournons toujours — et nos éditeurs avec nous — dans le même cercle étroit de réclames débiles et tâtonnantes… On parle des cent mille trompettes de