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à une telle cause, s’il n’avait pas, non seulement la certitude, mais encore les preuves — les preuves, vous entendez — de l’innocence de l’un et de l’infamie de l’autre ? Que peuvent tous les jugements et toutes les sentences d’un conseil de guerre contre cette impression mystérieuse et révélatrice qui me pousse à crier : « Il est innocent ! Il est innocent ! » et contre l’absolue, l’impeccable sécurité que me donne cette chose sacrée : « La conscience d’un honnête homme ! »

Cette fois, ce ne furent plus des rires qui couvrirent ces paroles, mais des huées et des hurlements. L’Illustre Écrivain écumait. Il imposa le silence :

— Et quand même Dreyfus serait innocent ? vociféra-t-il… il faudrait qu’il fût coupable quand même… il faudrait qu’il expiât toujours… même le crime d’un autre… C’est une question de vie ou de mort pour la société et pour les admirables institutions qui nous régissent ! La société ne peut pas se tromper… les conseils de guerre ne peuvent pas se tromper… L’innocence de Dreyfus serait la fin de tout !

Alors le poète se leva, et il dit :

— Je vous parle justice !… Et vous me répondez politique !… Vous êtes de pauvres petits imbéciles !…

Et il s’en alla…