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découronné la face symbolique, la face spécialiste du concierge, gardien de notre porte, et aussi de notre honneur !… Et il n’a pas fallu moins que le grand cri de conscience de M. Émile Zola, il n’a pas fallu moins que sa noble et forte parole pour que, dans le flot d’imbécile boue qui nous submerge, nous nous reprenions à ne pas complètement désespérer de l’utilité et de la générosité de notre profession.

Or, hier, chez l’Illustre Écrivain, la conversation, d’abord éparpillée parmi tous les convives, qui avaient hâte d’étaler leur bêtise irréductible et de vomir sur la table ce qu’ils avaient mangé le matin, dans les journaux, se fixa bientôt dans un dialogue entre notre hôte et un jeune poète, qui n’avait pas encore dit un seul mot et qui semblait regarder tous ces gens, autour de lui, avec l’étonnement pitoyable que l’on a devant une assemblée de fous.

— Et vous, dit l’Illustre Écrivain, en s’adressant au jeune homme, vous n’avez encore exprimé aucune opinion ?… Comme tout le monde, vous devez avoir un sentiment… et même une conviction ferme sur ce drame ?… Voyons, que pensez-vous de Dreyfus ?

— Je le crois innocent !… répondit le poète avec une douceur simple.

Il y eut des cris, des protestations indignées. Quand ils furent calmés, un essayiste, normalien, académicien, fort répandu dans les milieux